Comme tout le monde ou presque, nous constatons que nos sociétés sont confrontées depuis plusieurs décennies à un ensemble de situations de plus en plus graves : pollution des airs, des continents, des rivières et des océans; chômage de masse, précarité, pauvreté; généralisation de toutes sortes de violence...
Comme quelques autres, nous ne nous résignons pas à ces situations, nous en souffrons, nous nous en indignons, nous nous efforçons de les analyser, nous souhaitons en débattre et nous recherchons comment il serait possible d'y remédier.
Comme quelques autres, nous pensons que les choses ne s'améliorent pas car nos gouvernements s'effacent devant la finance et que, volontairement ou non (selon qu'ils se réclament "de droite" ou "de gauche") leurs choix sont ordonnés par le libéralisme.
Comme quelques autres, nous assimilons le libéralisme à une idéologie perverse : d'un côté on met en avant les principes de liberté et de responsabilité individuelles, partant du principe que la majorité des humains sont naturellement raisonnables et bien intentionnés; de l'autre, on feint d'ignorer qu'en réalité, ils se préoccupent bien plus de leurs propres intérêts que du reste de la planète.
Comme quelques autres, donc, nous savons que, d'un point de vue moral, le libéralisme est fondé sur l'hypocrisie : il n'est qu'un immense poulailler libre dans lequel on laisse librement évoluer les renards. Les discours libéraux affichent de nobles idéaux, en réalité s'applique la loi du plus fort, la loi de la jungle.
Comme quelques autres, nous savons que, d'un point de vue logique, le libéralisme est incohérent, aucune régulation par les prix n'est possible dès lors que la finance gouverne le marché car les principes du marché (plus un produit est rare, plus son prix est élevé) sont de facto écrasés par ceux de la finance (plus un produit est rare, plus sa cote baisse).
MAIS...
A la différence d'autres, nous considérons que le libéralisme n'est pas uniquement le fait d'une minorité de "décideurs" (patrons de méga-entreprises, financiers, traders, boursicoteurs petits et grands...) ni des politiciens.
A la différence d'autres, nous n'oublions pas en effet que les politiciens sont élus démocratiquement et qu'ils répondent aux attentes d'une majorité d'individus, animés eux-mêmes par les "valeurs" libérales (mythe du self made man) et qui - plus que toute autre chose - aspirent au confort matériel maximal ainsi qu'à la sécurité leur permettant de jouir de ce confort sans être inquiétés.
A la différence d'autres, nous observons que ce confort matériel, ce sont avant toute chose des moyens techniques qui les leur procurent : la voiture, la télévision, l'ordinateur, le téléphone portable... Toujours plus nombreux, ils s'appliquent à en jouir au maximum.
A la différence d'autres, nous expliquons que notre civilisation est devenue matérialiste parce que la recherche de confort matériel est sans cesse alimentée par la technique : un moyen technique apparaît pour répondre a un désir de confort. Mais, aussitôt comblé, ce désir en génère d'autres, ce qui va donner lieu à la conception, la fabrication et la commercialisation de nouveaux moyens techniques; lesquels, d'une part, rendent obsolètes les anciens moyens, d'autre part donnent naissance à de nouveaux désirs.
A la différence d'autres, nous affirmons que la technique se développe de façon autonome. Cette autonomie correspond d'une part au caractère insatiable du désir de confort matériel, d'autre part au fait que ce désir tend à devenir toujours plus addictif en raison du "perfectionnement" incessant de la technique.
A la différence d'autres, nous ne pensons pas que le matérialisme correspond à "la fin des valeurs" mais au fait qu'une seule valeur se substitue désormais à toutes les autres : "la recherche de l'efficacité maximale en toute chose". Même le goût du lucre est subordonné à cette valeur : la quête de profits passe par celle de nouveaux moyens de faire du profit.
A la différence d'autres, nous observons qu'en civilisation matérialiste, la vie des humains est quasi entièrement consacrée à la production et à la consommation des moyens techniques. D'une part, afin de les fabriquer en grandes quantités, on confère une grande valeur à son travail, y consacrant une partie importante de leur temps; d'autre part, on les utilise de plus en plus, au point d'éprouver de plus en plus de mal à s'en passer et d'inventer toujours plus de dérivatifs pour masquer sa dépendance à leur égard.
A la différence d'autres, nous n'oublions pas qu'avant même l'invention de la télévision, le cycle "métro-boulot-radio-dodo" était devenu un style de vie et que, dès qu'au fur et à mesure que les cadences et les volumes de production se sont accentués, l'industrie du loisir s'est développée, afin de constituer un dérivatif au travail (le "divertissement", c'est "ce qui fait diversion").
A la différence d'autres, nous pensons que pour oublier les vicissitudes du travail, les humains s'abandonnent aux biens de consommation, au point d'ériger la consommation en "culture": la publicité n'est pas un simple moyen de propagande, c'est l'instrument d'un culte.
A la différence d'autres, nous pensons que la religion ne constitue plus "l'opium du peuple", comme autrefois car elle est remplacée depuis plusieurs décennies par la culture de masse.
A la différence d'autres, nous pensons que la culture de masse ne se réduit pas à la somme des informations que les individus reçoivent des médias institutionnels. Elle inclue également la somme des informations qu'eux-mêmes émettent grâce aux moyens dont la technique les dote (radios locales, blogs, sites web...).
A la différence d'autres, nous pensons que la culture de masse "émise" est plus pernicieuse que la culture de masse "reçue" dans la mesure où elle procure une impression de liberté tandis que les grands médias peuvent toujours être suspectés d'intox. Tout média (qu'il soit géré par un groupe industriel ou par un blogueur habile et talentueux) constitue le moyen utilisé par quelques uns (voire un seul) de s'adresser à un nombre important d'individus. En tant que tel, il constitue donc un instrument de puissance.
A la différence d'autres, nous pensons que la capacité technique d'un État d'entrer dans l'intimité de milliers d'individus (caméras de surveillance, écoutes téléphoniques, captation des courriels...) constitue un problème insoluble - notamment par le droit - ceci en raison même du caractère autonome de la technique (cf # 11).
A la différence d'autres, nous pensons qu'un individu aussi habile que Snowden (qui dénonce les atteintes aux libertés par l'État) non seulement ne constitue pas le moindre "contre-pouvoir" à l'État mais contribue à renforcer ses systèmes de surveillance du seul fait que la majorité des humains privilégient le confort et la sécurité à la liberté.
A la différence d'autres, nous pensons que si, depuis le XIXème siècle, nos sociétés sont marchandisées, c'est parce qu'il existe un "fétichisme de la marchandise". Et que si elles le sont aujourd'hui plus qu'il y a deux siècles, cela ne vient pas du fait que les marchands et les publicitaires soient plus cupides ou cyniques qu'autrefois mais du fait que la marchandise est de plus en plus technicisée. La technicisation du monde constitue la principale cause et le principal vecteur de sa marchandisation.
A la différence d'autres, nous pensons que ce sont les fabricants d'ordinateurs, les fournisseurs d'accès à internet et les experts en algorithmes qui structurent aujourd'hui le capitalisme et certainement plus - comme autrefois - les commerçants et industriels traditionnels, ni même les banquiers. Les premiers imposent leurs lois aux seconds.
A la différence d'autres, nous pensons que "l'homme moderne" fétichise son téléphone portable et sa voiture (et non des produits commestibles, des meubles ou des billets de banque...) parce qu'il estime qu'ils lui permettent de défier la nature. C'est pourquoi il ne recherche pas tant de nouvelles sortes de nourriture, de nouveaux mobiliers ou de nouvelles monnaies que des téléphones, des ordinateurs ou des voitures toujours plus performants.
A la différence d'autres, nous pensons que si cet homme recherche toujours plus de confort, et de sécurité c'est parce que, consciemment, ou inconsciemment, il entend repousser toujours plus loin les limites que lui impose la nature : son milieu géographique, les conditions climatiques mais aussi la douleur, le vieillissement et la mort.
A la différence d'autres, nous pensons que la technique est porteuse d'une eschatologie, elle vise un "but ultime" : créer sur terre l'équivalent de ce qu'on appellait autrefois "le paradis" et que l'on situait dans l'au-delà : ce que l'on appelle aujourd'hui "bonheur" et que l'on exige d'obtenir ici-bas, maintenant, tout de suite... et pour soi seul s'il le faut.
A la différence d'autres, nous pensons que de même qu'autrefois les humains se livraient à différents types de sacrifices dans l'espoir que leur âme accéde au paradis, de même, pour accéder au "bonheur", ils se sacrifient aujourd'hui au travail (terme qui vient du mot latin "trepalium", signifiant "instrument de torture").
A la différence d'autres, nous savons que de même que, dans les grandes entreprises, les cadres utilisent toutes sortes de "techniques de communication" pour rendre le travail plus supportable (donc acceptable), de même aujourd'hui "les autoroutes de l'information" constituent un appareil de propagande destiné à faire oublier (donc accepter) le poids du travail.
A la différence d'autres, nous observons que tout en pâtissant du travail (la fatigue, le stress au travail et dans les transports...), les humains l'acceptent sans broncher, si ce n'est via un "mouvement social" de temps en temps. Ils obtempèrent "contre mauvaise fortune bon coeur" car ils se font à l'idée que le travail est une valeur, il constitue pour eux le "prix du bonheur". Ils l'endurent comme un peuple accepterait la condition d'esclavage et, de temps à autre, se risquerait à négocier le poids des chaînes avec ses maîtres.
A la différence de beaucoup d'autres, nous consdérons que si les humains accordaient une réelle importance au temps que leur fait "gagner" la technique, ils ne vivraient pas le chômage comme un drame ou une tragédie mais comme une bénédiction.
A la différence de beaucoup d'autres, nous portons un regard sans concession sur la façon dont nos contemporains sont exigeants en matière de confort et de sécurité. D'une part, ils consentent à travailler dur pour s'acheter une maison, une voiture, des appareils électro-ménagers, une télévision, un ordinateur, une tablette, un téléphone portable multi-fonctions, des DVD, des jeux vidéos... Et comme la recherche de leur bonheur personnel les coupe un peu du monde, ils surfent à longueur de temps sur les réseaux sociaux afin de "se faire des centaines d'amis"... Dans un deuxième temps, afin qu'on ne leur vole pas leurs bagnoles, leurs télés, leurs ordis, leurs DVD... ils équipent leurs logements, leurs rues et leurs quartiers de toutes sortes de digicodes et d'alarmes.
A la différence de beaucoup d'autres, nous ne croyons pas que les États puissent constituer une quelconque protection contre les appétits privés ni que leurs pouvoirs s'émoussent devant "les marchés". Nous pensons au contraire que, quels que soient leurs gouvernants, ils exercent sur le monde une autorité croissante.
A la différence de beaucoup d'autres, nous analysons la façon dont les États, avec les meilleurs prétextes (la lutte contre le terrorisme et la délinquance) et avec l'accord tacite d'une majorité de concitoyens, usent de moyens techniques stoujours plus sophistiqués, pour violer les fondements de la liberté (écoutes téléphoniques, caméras de surveillance, consultation à distance des échanges internet, établissement de fichiers biométriques, légalisation des puces RFID, etc...), finissant par menacer la sécurité de chacun Cela va de la construction de centrales atomiques au pouvoir accordé à certains (aux États-Unis) d'utiliser des drones afin d'assassiner (dans n'importe quel pays) tout individu qu'ils jugent suspect, ceci en toute impunité.
A la différence de beaucoup d'autres, nous considérons que si les chefs d'États et de gouvernements permettent que des techniques soient utilisées à l'encontre de la liberté, de la morale et de la sécurité, ce n'est nullement parce qu'ils sont immoraux mais parce qu'un État, quel qu'il soit, ne peut se développer que sur la base de la valeur technicienne : "la recherche de l'efficacité maximale en toute chose".
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons que les humains sont inconscients de ce qu'ils font quand, toujours plus nombreux, ils aspirent à toujours plus de confort. Ils n'évaluent ni son coût social (exploitation de mains d'oeuvre sous-payées dans les pays pauvres, chômage dans leurs propres pays), ni son coût écologique (utilisation de produits toxiques non dégradables). Ils sont inconscients de risquer ainsi leur santé et leur vie.
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons que ces individus sont hypocrites lorsqu'ils rendent responsables les hommes politiques des crises sociales et écologiques alors que ce sont eux qui ne cessent de leur demander de prendre les mesures leur garantissant toujours plus de confort et de sécurité. Ils sont irresponsables quand ils attendent des scientifiques et des ingénieurs qu'ils leur fournissent toujours plus de gadgets électroniques afin de satisfaire leurs désirs (qu'ils appellent "besoins" pour se donner bonne conscience). Ils sont enfin inconséquents quand ils s'avisent à critiquer le capitalisme, faisant mine d'ignorer qu'aucun progrès technique n'est concevable sans concentration de capitaux.
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons que la technique n'est pas seulement ce par quoi s'opère la domination de quelques uns sur beaucoup d'autres (techniques d'armements, techniques financières, techniques médiatiques...) mais qu'elle est aussi ce par quoi s'opère l'aliénation de tous, les dominateurs autant que les dominés.
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons donc que dénoncer les mécanismes de la domination en passant sous silence ceux de l'aliénation, c'est être moins consistant que la moitié d'un militant.
A la différence de beaucoup d'autres, nous considérons que si la finance gouverne l'économie et si la circulation du capital joue un rôle plus important que son accumulation, c'est parce que des moyens techniques sans cesse plus perfectionnés permettent aux capitaux de circuler à des vitesses toujours plus rapides, sans même parfois nécessiter le moindre contrôle humain, comme c'est le cas avec l'algotrading.
A la différence de beaucoup d'autres, et bien que nous nous exprimons ici sur un site internet, nous pensons que la technique ne constitue pas un meilleur moyen de s'exprimer et de s'organiser que par le passé. D'une part parce qu'un message est aujourd’hui noyé dans une masse considérable d’autres messages et qu'il a toutes les chances de passer inaperçu. D'autre part parce qu'un site internet, un forum électronique... constituent des moyens de communication désincarnés. Ne recourir qu'à eux revient à légitimer la quête obsessionnelle du progrès technique que nous nous efforçons au contraire de placer sous les feux de la critique.
A la différence de beaucoup d'autres, nous ne pensons pas que la technique "n'est ni bonne ni mauvaise" et que "tout dépend de l'usage que l'on en fait". Nous affirmons que LES techniques étant aujourd'hui tellement connectées entre elles, interdépendantes, LA Technique constitue désormais un environnement à part entière tout comme l'était autrefois la Nature. Et tout comme cette dernière jadis, elle conditionne les comportements, qu'on le veuille ou non, que l'on dispose ou non de moyens techniques (dans la mesure où ceux-ci sont porteurs de fantasmes).
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons que quand les "décideurs" ne cessent de répéter aux gens qu'ils ne doivent pas s'inquiéter du fait que les machines suppriment les emplois et qu'ils doivent "s'adapter au changement", ils ne font que leur demander de se conformer au milieu technicien et de se soumettre à ses lois.
A la différence de beaucoup d'autres, nous entendons faire valoir la notion de "technicisme passif". De même qu'une personne qui ne fume pas mais se retrouve au milieu d’une salle remplie de fumeurs est victime de tabagisme passif, de même quiconque, dans son travail, se retrouve obligé d'utiliser un ordinateur pour exécuter des tâches futiles subit lde plein fouet 'idéologie technicienne, qu'il le veuille ou non. De même, quiconque, chez lui, se retrouve dans l'obligation de répondre aux quantités de mails professionnels qu'il reçoit quotidiennement. De même que celui qui, ne disposant pas d'internet, s'expose à la suspicion d'être ringard.
A la différence de beaucoup d'autres, nous n'assimilons pas la technique aux seules technologies car elle n'est pas exclusivement de nature matérielle, elle constitue également une façon de penser. On peut définir celle-ci comme "la recherche de l'efficacité maximale en toute chose". Dès lors qu'il s'agit de gouverner une nation (État centralisé), d'administrer une cité (bureaucratie), de diriger une entreprise (management), de gérer un budget, de prévoir la météo ou même d'organiser ses vacances, la technique est omniprésente : elle constitue un fait civilisationnel.
A la différence de beaucoup d'autres, nous considérons que lorsqu'une poignée de "penseurs" transhumanistes proclament que le cyborg est l'avenir de l'homme, ils disent tout haut ce qu'une majorité d'individus disent tout bas, ou pour le moins espèrent secrètement.
A la différence de beaucoup d'autres, nous considérons que la technique constitue non seulement un nouvel environnement (# 40), un fait civilisationnel (# 43) et la fin de l'humanisme (# 44) mais un changement de période géologique : l'anthropocène.
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons que la technique ne constitue plus comme autrefois un simple "ensemble de moyens au service de différentes finalités", elle est érigée en "finalité suprême". Ne pas le percevoir n'est pas seulement faire preuve de naïveté et de paresse intellectuelle, c'est la démonstration que le développement technique est désormais considéré comme allant de soi.
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons qu'"on n'arrête pas le progrès" parce que l'on se persuade qu'il ne faut pas l'arrêter (la technique n'est pas seulement incritiquable, elle est indiscutable, tabou). Plus radicalement, nous pensons que l'on se persuade qu'il ne faut pas arrêter le progrès parce qu'en réalité, l'on ne peut plus le faire et l'on n'ose pas s'avouer à soi-même son incapacité à la contrôler.
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons que le progrès technique étant indiscutable, tout le monde ou presque s'y conforme à l'échelle planétaire si bien qu'il se développe de façon autonome quand bien même on s'évertue à croire et proclammer qu'on le contrôle.
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons que tout le monde ou presque se conforme à a technique. Aussi bien celui qui monte le volume de sa chaîne HI-FI ou met la pression sur la pédale d'accélérateur de sa voiture que celui qui lance un missile ou une bombe atomique. Les effets sont différents, les causes exactement les mêmes.
A la différence de beaucoup d'autres, nous pensons que le conformisme à la Technique constitue une nouvelle forme de totalitarisme : une dictature d'une ampleur inégalée s'exprimant non plus de façon autoritaire, comme autrefois, mais par l'intériorisation des contraintes.
A la différence de beaucoup d'autres, nous ne nous contentons pas de critiquer la technique depuis ses conséquences, une fois qu'il est déjà trop tard (par exemple après l'explosion d'une centrale atomique) mais depuis ses causes. Nous nous demandons quelles sont les "raisons" qui poussent, par millions, des individus se disant "raisonnables" à s'exposer aux risques sanitaires, en premier lieu l'irradiation. Pourquoi ne craignent-ils jamais que leur environnement soit contaminé pendant des siècles par l'atome ? Pourquoi, après Tchernobyl et Fukushima, ne se mobilisent-ils pas en masse, ne serait-ce que pour sauver leur peau ?
A la différence de beaucoup d'autres, "nous ne faisons pas de politique", non pas parce que cela ne nous intéresse pas - bien au contraire ! - mais parce que nous considérons que tous les problèmes que nous rencontrons aujourd'hui découlent d'une idéologie qui s'est ancrée il y a plus de trois siècles et qui, depuis, a tellement pénétré les consciences qu'elle n'est pas reconnue, y compris par la majorité des militants : l'idéologie technicienne. Nous pensons qu'il ne sert à rien de "s'indigner" ni de déblatérer contre le capitalisme tant que l'on n'a pas intégré que la realpolitik n'est qu'une pâle illusion, tant que l'on s'évertue à croire qu'elle peut influer d'une quelconque manière sur le cours des choses.
A la différence de beaucoup d'autres, nous considérons que, de même qu’au XXe siècle le taylorisme a parcellisé le monde du travail, le militantisme est aujourd'hui sectorisé : ici les anti-OGM et les anti-nucléaire, là les opposants à la vidéo-surveillance et au fichage biométrique ; d’un côté les adversaires des drones et de l’algotrading, de l’autre ceux qui voient dans les effets du tout-écran la cause de l’individualisme.
A la différence d'autres militants qui, comme nous, considèrent la Technique comme un phénomène totalitaire mais qui, ce faisant, cèdent aux sirènes de la technophobie ou simplement du passéisme, nous estimons que ce n’est pas la technique qui nous asservit mais le sacré transféré à la technique. Le totalitarisme technicien s'apparente à ce que La Boétie appelait "servitude volontaire" dans la mesure où c'est volontairement (bien qu'inconsciemment) que nos contemporains privilégient le confort matériel à la liberté.
De façon très marginale (une marginalité dont nous pâtissons mais que nous assumons), nous considérons que nos contemporains ne sont nullement aussi "modernes" qu'ils le prétendent mais au contraire aussi religieux et fétichistes que leurs plus anciens ancêtres. Autrefois, on imaginait qu'un arbre avait un esprit et l'on faisait des sacrifices aux divinités... Aujourd'hui, on panique quand on a égaré son téléphone portable et l'on se délecte de films en 3D et d'images virtuelles quand on est incapable de percevoir la réalité dans ses deux dimensions : physique et fantasmée.
De façon très marginale, nous considérons que, quelle que soit la valeur utilitaire qu'on accorde aux technologies (en particulier les médias), celles-ci exercent une capacité de divertissement sans commune mesure avec ce que l'histoire a jusqu'ici produit. La capacité de divertissement est "la capacité de faire diversion", multiplier les informations de façon qu'il devient toujours plus difficile de distinguer ce qui est essentiel de ce qui est accessoire.
De façon très marginale, nous considérons que la technique divise les individus... pourtant censés être indivisibles. D'une part, elle les coupe de leur intériorité. D'autre part, elle les oppose les uns aux autres. Car plus ils croient communiquer les uns avec les autres, plus ils s'instrumentalisent les uns les autres du fait même qu'ils échangent entre eux par la médiation d'instruments divers.
De façon très marginale, nous considérons que, de même que "l'homme moderne" a autrefois colonisé des peuples qu'il considérait comme inférieurs à lui, de même ses écrans d'ordinateurs, par retour de bâton, colonisent désormais son imaginaire. Nullement parce que ces écrans (ou les images en général) sont maléfiques en soi mais parce que lui-même est idolâtre. Tel le "primitif" qu'il a autrefois soumis à sa domination, il croit qu'un écran est une fenêtre ouverte sur le monde, alors qu'il n'en est qu'une représentation fantasmée, un "écran" de fumée lui dissimulant la partie le plus profonde (donc la plus obscure) de lui-même.
De façon très marginale, nous considérons que "l'homme moderne" réduit la psyché à la conscience. Il identifie la réalité du monde à l'image qu'il s'en fait (et aux multiples images qu'il en fait). Or cette image émane en grande partie des couches de son inconscient, elle en est une projection. L'inconscient est comparable à un continent que "l'homme moderne" a dévalorisé aussitôt qu'il l'a identifié (au début du XXe siècle) car il lui renvoyait une image contrastée, associant les ombres aux lumières; bien moins glorieuse par conséquent que celle qu'il se forgeait (et continue de se forger) par la conscience : celle d'un homme libre, "éclairé", émancipé de toutes sortes de croyances.
De façon très marginale, nous pensons que plus "l'homme moderne" sacralise la Technique, plus celle-ci, en retour, lui renvoie un spectacle kaléidoscopique qui le détourne toujours plus de son intériorité, laissant du coup le champ libre à sa volonté de puissance, à ses pulsions prométhéennes, à ses instincts grégaires et prédateurs. Intrinsèquement mortifère, la sacralisation de la technique (et non la technique elle-même) ne peut provoquer à terme que des effets mortels. La doctrine transhumaniste en constitue le prologue.
De façon extrêmement isolée, certains d'entre nous considèrent que les humains sont aujourd'hui tellement fascinés et façonnés par leurs prothèses qu'ils sont, en l'état, incapables de réaliser qu'ils les ont fabriquées par orgueil. Secrètement mais exclusivement motivés par le désir de remplacer les dieux, dont ils ont préalablement décrété le décès, ils sont en réalité devenus sourds à toute forme de transcendance.
De façon extrêmement isolée, certains d'entre nous considèrent que seul un sursaut d'humilité, une réactivation des facultés contemplatives et un sens prononcé de l'éthique pourraient briser ce terrifiant cercle vicieux et éviter qu'il ne devienne fatal.
De façon extrêmement isolée, toutefois, certains d'entre nous considèrent qu'en aucune manière une quelconque forme de spiritualisme ne saurait valoir d'antidote au matérialisme qui ronge la planète au travers de mille techniques. Seul l'exercice personnel (mené par chaque personne) d'une dialectique de l'immanence et de la transcendance pourrait constituer une planche de salut.
EN RÉSUMÉ...
De façon très isolée, nous considérons que la technique constitue un phénomène radicalement différent de ce que "l'homme moderne" affirme habituellement et de ce qu'il s'acharne non seulement à faire croire aux autres mais à croire lui-même.
De façon très isolée, nous considérons que la technique ne peut se définir exclusivement en termes rationnels et que, pour en comprendre pleinement le processus, il importe de prendre également en considération les motivations inconscientes des humains.
De façon très isolée, nous pensons que quand les humains entonnent la rengaine "la-technique-n'est-ni-bonne-ni-mauvaise/seul-importe-l'usage-qu'on-en-fait", c'est exclusivement afin de s'auto-justifier, fermer les yeux sur leurs instincts prométhéens, se donner bonne conscience afin de poursuivre dans la voie de la toute-puissance.
De façon très isolée, nous pensons qu'affirmer que "la technique est neutre", c'est passer avec soi-même toute une série de petits arrangements, de manière à rester soi-même neutre à son égard. C'est vouloir rester non critique envers sa propre volonté de puissance. C'est en premier lieu se mentir continuellement à soi-même et - secondairement, par voie de conséquence - mentir à autrui.
De façon aussi résolue que marginale, et étant donné son pouvoir extrêmement destructeur, nous entendons démystifier la technique : tenir à son endroit un autre discours. Raison pour laquelle notre association porte le nom de Technologos.