J’ai un aveu à faire
J’ai été magicien. Pas un illusionniste, hein : j’ai été sorcier, un vrai.
J’ai passé quelques années de ma vie dans une troupe de théâtre aux pratiques sectaires où nous avons spiralé dans une illusion de groupe : encens, cristaux, tarots, rituels, animaux totems, esprits-compagnons et âmes en peine à « faire monter », bougies protectrices, anges, énergies… Ça parait choupi-new-age comme ça, mais c’était psychologiquement et émotionnellement intense.
C’est pas facile, pour moi, de ressortir ces vieux souvenirs du placard. Si je le fais aujourd’hui, c’est pour dire à quel point je suis capable de comprendre une personne qui veut croire à la solution magique. L’abracadabra : le pouvoir de créer d’après ses paroles. Cette notion très Disneyienne que « si j’y crois trrrrrrrrès fort, avec toute la fôrce de mon cœur, ça arrivera. »
Je connais intimement cette envie impérieuse, en moi, de trouver une solution magique, un deus ex machina, une intervention miraculeuse qui fait que le monde ne sera plus une bataille permanente. Je la connais tellement que je la reconnais dès que je la vois apparaître dans mes communautés et mes écrans.
L’état de guerre dans nos têtes
Pourtant je suis quelqu’un d’intelligent : je le sais, j’ai même des papiers qui le prouvent :p !
Justement, avoir un cerveau qui turbine comme le mien, c’est la garantie d’être encore plus sensible aux manipulations, de foncer encore plus vite dans le mur. La première étape pour retourner mon intelligence contre moi-même est de mettre mon cerveau sur la défensive.
Par exemple, dans ma troupe de théâtre, la croyance que nous étions constamment en état de siège ou de guerre face à une attaque magico-énergétique d’un groupe extérieur (il y avait toujours les « méchants du moment » désignés par ma prof’ de théâtre) faisait que j’ai eu le bide tordu d’angoisse, que j’ai vécu des années avec un cierge allumé en permanence dans mon studio estudiantin, ou que j’ai loupé des cours en fac le matin car je passais une partie de la nuit à faire des rituels magiques.
En fiction, c’est génial : vas-y, bingewatche.
À vivre, je recommande pas. Nul. Caca. Zéro étoiles.
Avec le recul, tout cela n’était « que du vrai dans la tête » : cela m’a prouvé que le vrai-dans-la-tête a des conséquences bien vraies-dans-la-vie. Mon esprit en état de guerre et d’auto-défense, persuadé de l’utilité de rituels et autres croyances magiques, a eu une influence tout à fait matérielle sur mon corps, sur mon comportement, sur mes actions et mes relations.
Pas de guerre = pas d’armes de guerre
Cela m’a surpris de voir ces souvenirs enfouis ressortir du placard de ma mémoire. Voir le président de ma république nous répéter que « nous sommes en guerre » comme une incantation, pour implanter ce vrai dans nos têtes, cela m’a fait penser aux manipulations que j’ai subies à cette époque.
Les flics qui contrôlent nos intimités, les drones de surveillance bien en vue dans les JT, la tentation du tracking sur les smartphones des infecté·es… Cela ne m’évoque rien d’autre que les encens, bougies et prières auxquelles nous nous accrochions comme seule solution à cet état de guerre, qui n’existait que dans nos têtes, mais qui existait bel et bien dans nos têtes.
Si nous n’étions pas en guerre, alors nous aurions dû affronter que la vie est injuste, qu’on y tombe malade, qu’on y vieillit, qu’on y meurt #FuckingConditionHumaine. Qu’on hérite d’une éducation, d’une histoire, d’une culture, de structures qui nous dépassent #FuckingConditionSociale. Et que pour se démerder face à tout cela, il n’y a pas de baguette magique, pas de solution miracle. #Fuck
Chercher un raccourci clavier, un cheat code
Je la connais bien, cette envie en moi d’être celui qui a trouvé la warp zone. D’être le petit malin qui a trouvé le passage secret, l’astuce magique, le truc qui évite tellement d’efforts que c’est triché, que « LeS SCieNTiFiQueS Le DéTeSTeNT ! ! ! ! ». Cette envie, c’est la faille de mon esprit où peuvent s’engouffrer toutes les arnaques.
La solution miracle, la formule magique, le cheat code, c’est mon dernier rempart avant l’inéluctable : la destruction du monde. Enfin, avant la destruction de mon monde, du monde tel que je le vois, tel que je voudrais qu’il soit.
Car le monde m’emmerde… Il est comme il est, un point c’est tout : c’est rageant !
Or les accidents de la vie (genre : une pandémie) viennent remettre en question l’image que je me fais du monde. Ils me collent le nez dans le caca de mes illusions, et ne me laissent que deux choix : soit accepter de composer avec le monde tel qu’il est, soit inventer une solution magique pour préserver mes illusions.
La technologie n’est pas la solution
Je ne suis pas le seul. Nous voulons croire aux régimes miracles et crèmes amaigrissantes car autrement il faudrait étudier comment fonctionnent nos corps, et accepter l’effort d’en prendre soin comme ils sont, pas comme on voudrait qu’ils soient. Nous voulons croire au pouvoir de la prière ou de la positivité car autrement il faudrait prendre soin des autres, faire l’effort de les écouter comme iels sont.
Nous voulons croire aux drones-espions-délateurs pilotés par les gendarmes. Car autrement, il faudrait considérer que #LesGens sont des êtres complexes et intelligents qui ne se laissent pas manipuler bien longtemps par la peur et la menace. Il faudrait faire l’effort d’une police de proximité, par exemple, et donc détruire cette vision du monde où la convivialité, où éduquer au civisme, « ce n’est pas le rôle de la police [YouTube] ».
Nous voulons croire aux applications de tracking pistage volontaire. Car autrement, il faudrait faire l’effort de cesser toute activité non essentielle le temps que les dépistages, équipements de protection puis vaccins soient disponibles. Mais pour cela, il faudrait à la fois faire le deuil d’un capitalisme qui a besoin que certains hamsters fassent tourner la roue, ainsi que faire le deuil d’un gouvernement efficace, qui aurait anticipé et qui serait organisé.
Le logiciel libre n’est pas la solution
Faire le deuil de ses illusions, c’est pas facile. Il faut passer l’état de choc et les moments de déni (non mais c’est rien qu’une grippette). Souvent ensuite vient la colère (À QUI C’EST LA PUTAIN DE FAUTE ? ? ?), et comme le dit Mémé Ciredutemps : « La colère est une chose précieuse : il faut la mettre en bouteille, pour la ressortir dans les grandes occasions. »
C’est alors qu’arrive le temps des marchandages, le moment où on crie au monde : non mais si j’ai une solution magique, est-ce que je peux pas garder mes illusions ? Juste encore un peu ?
Si on utilise pas Google Classrooms, mais rien que des logiciels libres, on peut faire cours comme si personne n’était traumatisé la continuité pédagogique ?
J’aimerais pouvoir dire que la solution, c’est le logiciel libre. Qu’une application de pistage ne nous fera pas entrer dans la servitude volontaire et la panoptique si elle est sous licence libre. Que des drones libres empêcheraient magiquement les abus de pouvoir et violences policières. Que les communautés du logiciel libre peuvent miraculeusement accueillir les besoins numériques du service public de l’Éducation Nationale.
Mais ce serait du bullshit, de la poudre de perlimpinpin. Ce serait odieusement profiter d’une crise pour imposer mes idées, mes idéaux.
À qui profite la solution
Derrière l’élixir magique qui fait repousser les cheveux de la #TeamChauves, il y a le charlatan. Si la plupart de nos mairies ont dilapidé nos impôts dans des caméras de vidéosurveillance dont l’inefficacité a été montrée, c’est parce qu’il y a des entreprises qui font croire à cette solution magique pour vampiriser de juteux marchés publics.
Je laisse les personnes que ça excite le soin d’aller fouiller les papiers et nous dire quels sont les charlatans qui profitent le plus des solutions miracles de la crise actuelle (du « remède magique » à « l’appli de tracking si cool et citoyenne » en passant par les « drones conviviaux des gentils gendarmes »), je ne vais pas pointer des doigts ici.
Ce que je pointe du doigt, c’est la faille dans nos esprits. Car cette faille risque de se faire exploiter. Ceux qui ont trouvé la solution magique, celles qui ont la certitude d’avoir LA réponse, ces personnes sont dangereuses car (sciemment ou non) elles exploitent une faille dans nos esprits.
Dans le milieu logiciel, après avoir signalé une faille, il faut trouver un patch, un correctif pour la colmater. Je ne suis pas sûr de moi, mais je crois qu’il faut observer nos envies de croire en une solution magique, et ce qu’elles cachent. Regardons en face ce à quoi il faudra renoncer, les efforts qu’il faudra faire, le soin qu’il faudra prendre, les changements qu’il faudra accepter.
Il n’y a pas de solution
Qu’est-ce qu’on fait ? Comment on fait ?
J’ai beau être un sorcier repenti, je suis aussi perdu que quiconque face à cette question (ou alors, si je concluais sur une solution miracle, je ferais la une de Tartuffe Magazine !). Je vais donc me concentrer sur un domaine qui occupe mon plein temps depuis des années : le numérique.
Sérieusement : je me fous que le logiciel soit libre si la société ne l’est pas.
Or, d’après mon expérience, créer des outils numériques conviviaux, émancipateurs… bref éthiques, c’est pas « juste coller une licence libre sur du code ». La licence libre est une condition essentielle ET insuffisante.
Il faut aussi faire l’effort de penser aux personnes dans leur diversité (inclusion), leur intimité (protection), leurs caractéristiques (accessibilité), leurs usages (ergonomie), leur poésie (présentation), leurs pratiques (accompagnement)…
C’est là qu’on voit que, comme toute création de l’esprit, le code n’est qu’un prétexte. Ce qui compte, c’est l’humain. Il faut faire l’effort d’apprendre et d’écouter des humain·es, et de s’écouter soi (humain·e) pour pouvoir se remettre en question, et avancer pas à pas.
La loi des poules sans tête
Je me suis extrait, progressivement, du monde des fariboles magiques. Le plus gros deuil que j’ai dû faire en perdant ces illusions, ça a été celui des « Non mais ça, les responsables s’en occupent. », « Non mais les haut-placés font de leur mieux. », « Non mais les gouvernantes veulent notre bien. ». Toutes ces croyances me confortaient, me réconfortaient. RIP ma tranquillité d’esprit, j’ai dû faire face à cette vérité qui pour l’instant ne s’est pas démentie :
Personne ne sait ce qu’il faut faire, tout le monde improvise, nous courons dans la vie comme des poules décapitées.
La loi des poules sans têtes ne s’est pour l’instant pas démentie, dans mon vécu. La bonne nouvelle, c’est qu’elle implique des corollaires assez enthousiasmants, qui ont changé ma vie :
Si j’arrête de croire qu’une autre personne s’en chargera, je peux influer sur le petit bout de monde qui se trouve devant moi ;
Si je prends la charge d’un sujet, je sais combien c’est énergivore, et j’ai plus de compassion avec les personnes qui ont pris à leur charge d’autres sujets, même quand elles font pas comme je voudrais ;
Si je trouve les personnes avec qui je suis à l’aise pour faire des trucs, on peut agrandir l’horizon du bout de monde qu’on est capable de changer ;
Si on veut pas de hiérarchie, il faut trouver comment s’écouter les unes les uns les autres, afin de mieux s’entendre ;
S’il n’y a pas de personne au-dessus, tout le monde peut résoudre les problèmes que nous vivons ;
Si on écoute les vécus, expériences, connaissances et pratiques qui sont partagées autour de nous, on peut expérimenter et faire mûrir des solutions qui font du bien.
(Ce dernier point vaut le coup d’être répété autrement) Oui, parfois, y’a des gens comme toi et moi qui font des trucs, sans le pouvoir en place, malgré le pouvoir en place : et ça marche.
Plot twist : la magie était dans nos mains depuis le début
Le plus gros secret que j’ai appris en cessant d’être sorcier, c’est que la magie existe. Annoncer ce que l’on souhaite faire, comment on veut le faire, et l’aide dont on a besoin pour y arriver nous a plutôt bien aidé à concrétiser nos actions, chez Framasoft. Le fait de transformer les paroles en actions concrètes est possible : j’appelle ça de la communication.
En vrai, il s’agit d’abord d’écouter soi, son groupe, son entourage, son monde… puis d’exprimer le chemin qu’on aimerait y tracer, ce que l’on souhaite y faire. Écouter puis exprimer. Dans l’incertitude et la remise en question. La partie magique, c’est que les gens sont gentils. Si tu leur donnes des raisons de te connaître, de te faire confiance, iels vont t’apporter l’aide dont tu as besoin pour tes actions, et parfois plus.
Les gens sont gentils, et les connards en abusent. L’avantage de m’être déjà fait manipuler par des gurus, c’est que je repère les pseudo mages noirs de pacotille à des kilomètres. Celles qui s’expriment et n’écoutent rien ni personne, même pas la énième consultation publique mise en place. Ceux qui sont obligés de rajouter des paillettes à leurs effets, qui font clignoter de la digital french tech for good tracking, parce qu’il leur manque un ingrédient essentiel à la magie : notre confiance.
Il n’y a pas de solution, il n’y a que nous
Si j’applique mon expérience à un « où on va » plus général, mon intuition me dit que la direction à prendre est, en gros, celle où on se fait chier.
Celle où on se bouge le derche pour combattre, éduquer ou faire malgré ces poules sans tête qui se prennent pour des coqs.
Celle où on se casse le cul à écouter le monde autour de nous et celui à l’intérieur de nous pour trouver ce que nous pouvons prendre à notre charge, ici et maintenant.
Celle où on s’emmerde à essayer de faire attention à tous les détails, à toutes les personnes, tout en sachant très bien qu’on n’y arrivera pas, pas parfaitement.
Celle où il n’y a pas de raccourci, pas de solution magique, juste nos petits culs, fiers et plein d’entrain.
À mes yeux la route à choisir est celle qui parait la plus longue et complexe, parce que c’est la voie la plus humaine. C’est pas une solution, hein : c’est une route. On va trébucher, on va se paumer et on va fatiguer. Mais avec un peu de jugeote, on peut cheminer en bonne compagnie, réaliser bien plus et aller un peu plus loin que les ignares qui se prennent pour des puissants.
On se retrouve sur le sentier ?
Promis : la voie est Libre !
A few months ago, I was contacted by a senior executive who was about to leave a marketing firm. He got in touch because I’ve worked on the non-profit side of tech for a long time, with lots of volunteering on digital and human rights. He wanted to ‘give back’. Could I put him in touch with digital rights activists? Sure. We met for coffee and I made some introductions. It was a perfectly lovely interaction with a perfectly lovely man. Perhaps he will do some good, sharing his expertise with the people working to save democracy and our private lives from the surveillance capitalism machine of his former employers. The way I rationalized helping him was: firstly, it’s nice to be nice; and secondly, movements are made of people who start off far apart but converge on a destination. And isn’t it an unqualified good when an insider decides to do the right thing, however late?
The Prodigal Son is a New Testament parable about two sons. One stays home to work the farm. The other cashes in his inheritance and gambles it away. When the gambler comes home, his father slaughters the fattened calf to celebrate, leaving the virtuous, hard-working brother to complain that all these years he wasn’t even given a small goat to share with his friends. His father replies that the prodigal son ‘was dead, now he’s alive; lost, now he’s found’. Cue party streamers. It’s a touching story of redemption, with a massive payload of moral hazard. It’s about coming home, saying sorry, being joyfully forgiven and starting again. Most of us would love to star in it, but few of us will be given the chance.
The Prodigal Tech Bro is a similar story, about tech executives who experience a sort of religious awakening. They suddenly see their former employers as toxic, and reinvent themselves as experts on taming the tech giants. They were lost and are now found. They are warmly welcomed home to the center of our discourse with invitations to write opeds for major newspapers, for think tank funding, book deals and TED talks. These guys – and yes, they are all guys – are generally thoughtful and well-meaning, and I wish them well. But I question why they seize so much attention and are awarded scarce resources, and why they’re given not just a second chance, but also the mantle of moral and expert authority.
I’m glad that Roger McNamee, the early Facebook investor, has testified to the U.S. Congress about Facebook’s wildly self-interested near-silence about its amplification of Russian disinformation during the 2016 presidential election. I’m thrilled that Google’s ex-‘design ethicist’, Tristan Harris, “the closest thing Silicon Valley has to a conscience,“(startlingly faint praise) now runs a Center for Humane Technology, exposing the mind-hacking tricks of his former employer. I even spoke —critically but, I hope, warmly—at the book launch of James Williams, another ex-Googler turned attention evangelist, who “co-founded the movement”of awareness of designed-in addiction. I wish all these guys well. I also wish that the many, exhausted activists who didn’t take money from Google or Facebook could have even a quarter of the attention, status and authority the Prodigal Techbro assumes is his birth-right.
Today, when the tide of public opinion on Big Tech is finally turning, the brothers (and sisters) who worked hard in the field all those years aren’t even invited to the party. No fattened calf for you, my all but unemployable tech activist. The moral hazard is clear; why would anyone do the right thing from the beginning when they can take the money, have their fun, and then, when the wind changes, convert their status and relative wealth into special pleading and a whole new career?
Just half an hour flipping through my contacts produced half a dozen friends and acquaintances who didn’t require a ‘road to Damascus’ conversion to see what was wrong with big tech or the ways governments abuse it. Nighat Dad runs the Digital Rights Foundation in Pakistan, defending online freedom of expression and privacy for women, minorities and dissidents. That’s real courage. Gus Hosein has worked in tech and human rights for over 20 years, runs Privacy International, the UK-based non-profit, and is the most visionary thinker I know on how to shake up our assumptions about why things are as they are. Bianca Wylie founded the volunteer-run Open Data Institute Toronto, and works on open data, citizen privacy and civic engagement. The “Jane Jacobs of the Smart Cities Age,” she’s been a key figure in opening up and slowing down Alphabet’s Sidewalk Labs juggernaut in Toronto. Aral Balkan runs Small Technology Foundation and works on both the tools and the policies to resist surveillance capitalism. Unafraid of being unpopular, even with other activists, Balkan freely hammers rights organizations or conferences for taking big tech’s sponsorship money while criticizing the companies’ practices. In the western Balkans, hvale vale works tirelessly and cheerfully on women’s rights, sexual rights and the political and practical path to a feminist internet. Robin Gross, a Californian intellectual property lawyer, could have put her persistence and sheer pizazz to work defending big entertainment companies, but instead she’s worked for decades against the copyright maximalism that strangles artists’ creativity and does nothing to increase their incomes. I would love to hear their voices amplified, not (just) the voices of those who took a decade and more to work out the rottenness at the core of big tech.
Ex-Google lobbyist Ross Lajeunesse left the company in 2019 over its censored search engine for China and also because of homophobic, sexist and racist work practices. He’s now running for a Democratic senate nomination, and recently wrote a classic of the ‘scales have fallen from my eyes’ genre, called “I Was Google’s Head of International Relations. Here’s Why I Left.” Its lede is “The company’s motto used to be “Don’t be evil.” Things have changed.”
Really? Has Google really changed? Lajeunesse joined in 2008, years into Google’s multi-billion dollar tax avoidance, sexist labor practices and privacy hostility and continued to work there through the years of antitrust fines, misuse of personal health data, wage fixing, and financially pressuring think tanks. Google didn’t change. It just started treating some of its insiders like it already treated outsiders. That only looks like radical change if you’ve never thought too hard about what you are doing and to whom.
One hundred thousand people work for Google/Alphabet; some of them have much more power than others. The point isn’t whether Lajeunesse is or isn’t culpable for the many acts of the enormous company he represented—as its chief lobbyist in Asia for several years—it’s that of all the people who spent the decade of 2010-20 working thanklessly to expose and reduce the firm’s monopolistic abuse and assault on global privacy, it’s the ex-lobbyist who gets our attention now.
We all need second chances. Even if we don’t need those fresh starts ourselves, we want to live in a world where people have a reason to do better. But the prodigal tech bro’s redemption arc is so quick and smooth it’s barely a road bump. That’s because we keep skipping the most important part of the prodigal son story—where he hits rock bottom. In the original parable, the prodigal son wakes up in a pig sty, starving, and realizes his father’s servants now live better than he does. He resolves to go home to the people and place he did not value or respect before. He will beg to be one of his father’s servants. He accepts his complete loss of status. But instead of chastising and punishing his prodigal son, the rejoicing father greets him joyfully and heads off the apology with a huge party. It’s a great metaphor for how to run a religion, but a lousy way to run everything else.
Prodigal tech bro stories skip straight from the past, when they were part of something that—surprise!—turned out to be bad, to the present, where they are now a moral authority on how to do good, but without the transitional moments of revelation and remorse. But the bit where you say you got things wrong and people were hurt? That’s the most important part. It’s why these corporatized reinventions feel so slick and tinny, and why so many of the comments on Lajeunesse’s train wreck post on Medium were critical. The journey feels fake. These ‘I was lost but now I’m found, please come to my TED talk’ accounts typically miss most of the actual journey, yet claim the moral authority of one who’s ‘been there’ but came back. It’s a teleportation machine, but for ethics.
(While we’re thinking about the neatly elided parts of the prodigal tech bro story, let’s dwell for one moment on the deletion of the entire stories of so many women and people of color barely given a first chance in Silicon Valley, let alone multiple reinventions.)
The only thing more fungible than cold, hard cash is privilege. The prodigal tech bro doesn’t so much take an off-ramp from the relatively high status and well-paid job he left when the scales fell from his eyes, as zoom up an on-ramp into a new sector that accepts the reputational currency he has accumulated. He’s not joining the resistance. He’s launching a new kind of start-up using his industry contacts for seed-funding in return for some reputation-laundering.
So what? Sure, it’s a little galling, but where’s the harm?
Allowing people who share responsibility for our tech dystopia to keep control of the narrative means we never get to the bottom of how and why we got here, and we artificially narrow the possibilities for where we go next. And centering people who were insiders before and claim to be leading the outsiders now doesn’t help the overall case for tech accountability. It just reinforces the industry’s toxic dynamic that some people are worth more than others, that power is its own justification.
The prodigal tech bro doesn’t want structural change. He is reassurance, not revolution. He’s invested in the status quo, if we can only restore the founders’ purity of intent. Sure, we got some things wrong, he says, but that’s because we were over-optimistic / moved too fast / have a growth mindset. Just put the engineers back in charge / refocus on the original mission / get marketing out of the c-suite. Government “needs to step up”, but just enough to level the playing field / tweak the incentives. Because the prodigal techbro is a moderate, centrist, regular guy. Dammit, he’s a Democrat. Those others who said years ago what he’s telling you right now? They’re troublemakers, disgruntled outsiders obsessed with scandal and grievance. He gets why you ignored them. Hey, he did, too. He knows you want to fix this stuff. But it’s complicated. It needs nuance. He knows you’ll listen to him. Dude, he’s just like you…
I’m re-assessing how often I help out well-established men suddenly interested in my insights and contact book. It’s ridiculous how many ‘and I truly mean them well’s I cut out of this piece, but I really do, while also realizing I help them because they ask, or because other people ask for them. And that coffee, those introductions, that talk I gave and so much more of my attention and care—it needs to go instead to activists I know and care about but who would never presume to ask. Sometimes the prodigal daughter has her regrets, too.
So, if you’re a prodigal tech bro, do us all a favour and, as Rebecca Solnit says, help “turn down the volume a little on the people who always got heard”:
Do the reading and do the work. Familiarize yourself with the research and what we’ve already tried, on your own time. Go join the digital rights and inequality-focused organizations that have been working to limit the harms of your previous employers and – this is key – sit quietly at the back and listen.
Use your privilege and status and the 80 percent of your network that’s still talking to you to big up activists who have been in the trenches for years already—especially women and people of colour. Say ‘thanks but no thanks’ to that invitation and pass it along to someone who’s done the work and paid the price.
Understand that if you are doing this for the next phase of your career, you are doing it wrong. If you are doing this to explain away the increasingly toxic names on your resumé, you are doing it wrong. If you are doing it because you want to ‘give back,’ you are doing it wrong.
Do this only because you recognize and can say out loud that you are not ‘giving back’, you are making amends for having already taken far, far too much.
Le pouvoir n’est pas seulement ce que vous avez, mais également ce que l’ennemi croit que vous avez.
Ne sortez jamais des champs d’expérience de votre groupe.
Sortez du champ d’expérience de l’ennemi chaque fois que c’est possible.
Forcez l’ennemi à suivre à la lettre son propre code de conduite.
Le ridicule est l’arme la plus puissante dont l’homme dispose.
Une tactique n’est bonne que si vos militants ont du plaisir à l’appliquer.
Une tactique qui traîne trop en longueur devient pesante.
Maintenir la pression, par différentes tactiques ou opérations, et utiliser à votre profit tous les événements du moment.
La menace effraie généralement davantage que l’action elle-même.
Le principe fondamental d’une tactique, c’est de faire en sorte que les événements évoluent de façon à maintenir sur l’opposition une pression permanente qui provoquera ses réactions.
En poussant suffisamment loin un handicap, on en fait un atout.
Une attaque ne peut réussir que si vous avez une solution de rechange toute prête et constructive.
Il faut choisir sa cible, la figer, la personnaliser et polariser l’attention sur elle au maximum.
Le choix d’une cible ne doit pas être abstrait ou général, mais doit représenter une personne bien précise.
An interview with the documentary filmmaker Adam Curtis
If technology is increasingly a place where we live, it needs to have space for the soul, like how the library makes room for a healthy, elevated mindset while the current Penn Station inspires despair. Beauty is an important element, but purpose also matters. I think this is what Kelly is hinting at. Using technology for commerce, efficiency, and ease are not enough of a higher purpose for something that dominates a great part of our lives. The heart demands a bigger dream.
What is it all for? What can we imagine? These questions become critical as we find ourselves in a time where we are confronted with questions about identity, self-worth, community, and citizenship in this connected world. If technology is not only for profit and ease, what is it for? We must use our soulful imaginations and be specific.
Cyril Dion est un marchand d’illusions. Il réconforte les angoissés qui craignent de perdre leur mode de vie confortable et le mal nommé progrès parce qu’ils sont aussi aveugles que lui quant à leurs réalités, et déculpabilise à bon compte tous ceux qui vivent un peu mal le fait qu’elle détruise la planète en leur assurant que la société technologique moderne peut tout à fait devenir écolobio. Il le dit très bien lui-même. Son principal souci consiste à « conserver le meilleur de la civilisation » et non pas à défendre le monde naturel contre les innombrables destructions qu’impliquent la civilisation industrielle et son inexorable expansion. Le monde naturel, la planète, est secondaire, il s’agit de la préserver « au mieux ». Ce qui est littéralement cinglé. La santé de la biosphère devrait évidemment être primordiale. D’autant que, répétons-le, le meilleur de la civilisation n’est que nuisances.
Son discours peut se résumer en une phrase : mais si, croyez-moi, il est possible d’avoir une civilisation industrielle écologique et démocratique, d’avoir des zavions écolos, des zautomobiles écolos, des routes écolos, etc. Un conte pour enfant immature et une utopie indésirable, que la moindre analyse des systèmes de pouvoirs qui caractérisent la civilisation, des implications des technologies complexes et des industries dont il souhaite la continuation, dissiperait instantanément.
Quel est votre rêve ?
Derrière la rage, la question
On ne va pas se mentir, je ne suis pas le dernier pour gueuler : des articles pour conchier tel ou tel gouvernement, j’en ai fait deux trois ; des manifs aussi ; quand d’autres gueulent – cheminots, personnel hospitalier, étudiants… –, je ne manque pas de les soutenir.
Derrière les revendication, derrière la rage à chaque attaque envers les acquis sociaux, me vient souvent une question, lancinante, angoissante même : à quoi bon ?
Pourquoi tout ce cirque ? Vers quoi se dirige-t-on ? Où veut-on aller ? On nous dit que monde a changé, qu’il faut s’adapter. Comme si, au passage, ce « changement » était l’opération du Saint Esprit ; comme si c’était le travailleur bangladais qui nous avait supplié de venir l’exploiter pour que dalle ; comme si ça n’était pas nos propres dirigeants qui avaient vendu le monde entier au libéralisme le plus sauvage, ceux-là même qui nous disent que « le monde a changé ».
Et après ? Quand on se sera adapté à ce « monde qui a changé » (et que quand même, c’est pas de chance), il se passera quoi ? C’est quoi, « demain » ? Les lendemain qui chantent ? Quand on aura dit adieu à toute protection sociale, quand on aura libéralisé tout ce qui ne l’est pas encore, quand on aura mis un prix et un marché sur le moindre éléments de vie humaine, il se passera quoi ? La terre promise ? Le paradis sur Terre ? C’est quoi, le bout du chemin ?
Cette question qui devrait être notre moteur, ce qui devrait nous faire nous lever le matin : quel est notre rêve ?
Alors je sais, c’est pas simple, comme question – et j’vous parle même pas de la réponse. Seulement, il faudrait déjà se la poser, la question. Quand je vois les politiques de nos politiciens, les éditos de nos éditocrates, les expertises de nos experts, les arnaques de nos énarques, je brûle de leur poser la question : quelle société souhaitez-vous construire avec votre idéologie capitaliste dont vous nous soutenez qu’elle est la seule voie possible ? Où est-ce qu’elle nous mène, Tina ? Quel est votre monde idéal ?
Quel est votre rêve ?
Mon rêve
Le truc, c’est que moi, si j’y réfléchis, je peux assez facilement l’envisager, mon rêve, ma vision de la société idéale dans laquelle j’aspire à vivre.
Je sais déjà qu’elle serait soutenable à long terme, tant écologiquement qu’humainement. On y aurait considérablement réduit l’activité humaine en stoppant la course à la croissance et à la surconsommation. Avec des besoins énergétiques drastiquement revus à la baisse, on serait en mesure de les assurer par des énergies et matières premières renouvelables. Ce qui aurait par la même occasion réduit la pression autour des énergies et matières premières au Moyen-Orient (pétrole, gaz, etc.) ou en Afrique (métaux rares, uranium, etc.), asséchant la source de nombreuses guerres, rendant le monde plus stable.
Voir aussi : Incultures 4 : Faim de pétrole
Activité humaine réduite, cela voudrait aussi dire que l’on travaillerait beaucoup moins : uniquement le matin par exemple. Le reste de la journée serait dédié à la gestion politique de la société (on va y revenir), à la vie sociale (famille, amis), aux activités bénévoles et bien sûr aux loisirs. Le travail serait recentré autour des besoins des êtres humains, on aurait supprimé cette stupidité de « créer des besoins » dans un monde incapable de subvenir à ceux déjà existants – car inhérents à la condition humaine – de tous. On aurait aussi logiquement interdit la publicité, premier pollueur d’esprit voué à détruire l’humain sur l’autel de la marchandisation généralisée.
Voir aussi : La publicité, le VLOG des Gens qui se Bougent
Voir aussi : Violences de l’idéologie publicitaire, sur le Monde Diplomatique
Les travaux les plus difficiles et fatigants qui n’auraient pas pu être automatisés seraient les mieux payés et les plus largement répartis. On travaillerait de moins en moins à mesure que l’on vieillirait jusqu’à arriver à la retraite totale (comme actuellement) à un âge où nous serions encore suffisamment en bonne santé pour en profiter.
Voir aussi : Éloge de l’oisiveté, par Dominique Rongvaux
Parlons rémunération, tiens : l’argent ne serait plus généré par le crédit bancaire mais par chaque personne de manière régulière de part sa propre existence (sur le modèle d’un revenu universel de création monétaire, comme la monnaie numérique Ğ1). Ce revenu serait à la fois une sécurité économique et une force politique, puisque ce serait chaque citoyenne et chaque citoyen (et non les banques) qui déciderait de comment investir sa force de travail et de création : charge à celles et ceux qui auraient des projets ambitieux de rassembler leurs revenus à plusieurs pour financer telle ou telle entreprise commune.
Voir aussi : Les secrets de la monnaie, par Gérard Foucher
Voir aussi : Duniter, comprendre la monnaie Ğ1
Au niveau de l’organisation de la société, on aurait mis fin à l’aristocratie électorale en mettant en place une démocratie populaire à tous les étages de la société sur le modèle de l’autogestion : des assemblées populaires de tailles diverses seraient organisées pour gérer telle commune par les habitants de cette commune, telle région par les habitants de cette région, et bien sûr tel pays par ses propres habitants (et ensuite, le monde ?). Ces assemblées pourraient être tirées au sort ou, à la limite, par un système électoral très strictement encadré : mandat unique avant inéligibilité à vie (pour éviter l’apparition d’une caste de professionnels de la politique), obligation de représentativité des assemblées (de classe, d’âge, de genre, d’origine), dé-personnalisation maximale des propositions politiques, etc.
Voir aussi : J’ai pas voté
Voir aussi : J’ai pas voté – Le tirage au sort en politique
Comme il n’aura échappé à personne qu’aujourd’hui, pas mal de très grosses entreprises sont plus puissantes que les États, il me semblerait également logique d’étendre la sphère de la gestion populaire collective au secteur des entreprises : il n’y a aucune raison que la démocratie s’arrête aux portes des entreprises. Des grands groupes comme Total ou Areva peuvent largement participer à déstabiliser des régions entières du globe en favorisant la pression sur les matières premières, sans parler de peser un poids très lourd sur les politiques énergiques mises en œuvre par le pays : il me semblerait donc normal qu’elles soient gérées à 100 % par les citoyens, pour éviter que les intérêts privés de quelques-uns ne pèsent un poids démesuré sur le sens de l’histoire.
Notez que ce principe de gestion collectif des moyens de productions pourrait être assouplie selon l’échelle d’une entreprise : les TPE ou PME n’ont qu’un pouvoir très local et limité et pourraient donc n’être gérée que partiellement par les citoyens, voir n’être gérée que par les gens qui y travaillent (le boulanger du coin n’a peut-être pas besoin d’un CA populaire de 300 personnes).
Voir aussi : Peut-on être communiste et objectif, par Usul
Voir aussi : Bernard Friot et le salaire à vie, par Usul
Bien sûr, ce ne serait pas le paradis. On aurait fait une croix sur pas mal de confort (surtout pour nous occidentaux), conséquence logique de la diminution (voire suppression) des activités non-soutenables à long terme : on aurait par exemple beaucoup moins d’appareils électroniques et on les garderait beaucoup plus longtemps (et heureusement puisqu’on les paierait à un prix normal par rapport au travail de ceux qui les auraient construits et à l’empreinte écologique, c’est-à-dire très chers) ; on voyagerait sans doute beaucoup moins souvent et beaucoup moins loin (prédominance des transports en commun et des moyens de transport légers comme le vélo).
Et pourtant j’ai tendance à penser qu’on vivrait mieux, que le niveau de vie ne se mesure pas simplement à la quantité de choses que l’on consomme : vivre plus modestement, moins confortablement mais aussi plus doucement, avoir du temps pour soi, du temps à passer avec ses proches, du temps pour vivre en somme… ça peut être un choix de société désirable, non ?
Certes, ce n’est qu’un rêve…
Voilà, ça, c’est mon rêve, mon petit monde idéal, là où j’aimerais qu’on aille. Oh, je ne suis pas un grand benêt naïf, je sais bien qu’on en est loin et que ça ne se fera pas en claquant des doigts ; que je ne verrais sans doute pas ce monde de mon vivant ; qu’il est peut-être impossible que nous y arrivions même un jour, même si nous le souhaitions tous unanimement (ce qui n’est pas le cas, bien entendu).
Mais c’est vers là que je voudrais que le monde se dirige, même si c’est à la façon d’une limite mathématique inatteignable mais dont nous pouvons nous approcher autant que possible. C’est un peu ma boussole politique : lorsque je vois une action politique qui nous rapproche de ce monde idéal, même un tout petit peu, alors je considère que c’est une bonne politique. À l’inverse, si je vois une action politique qui nous en éloigne, même un tout petit peu, alors que je considère que c’est une mauvaise politique.
Ça ne veut pas dire que chacun doit avoir le même monde idéal que moi. Je ne doute pas que mon monde idéal en fasse hurler deux ou trois. Même les gens qui ont à peu près la même sensibilité politique que moi doivent avoir un idéal, un rêve différent. Et rien n’empêche qu’en chemin, on se rende compte qu’en fait, on préférerait bifurquer et aller un peu ailleurs, finalement.
Seulement, depuis pas mal de temps (aussi longtemps que je sois en âge d’avoir cette analyse – et même avant), il se trouve que quasiment toutes les politiques mises en œuvre dans notre pays semblent s’évertuer à nous éloigner radicalement de ce monde idéal. Alors bien sûr, encore une fois, je n’oblige personne à avoir le même rêve. Le principe démocratique voudrait que l’on confronte les différents rêves de chacune et chacun pour trouver une voie médiane, quelque chose qui pourrait satisfaire autant de monde que possible. Sauf que j’ai quand même l’impression générale que le chemin que nos dirigeant prennent ne correspondent plus au rêve de grand monde ici-bas.
Malaise.
Alors je me pose la question. Vous, politiciens, éditocrates, experts, énarques – soyons francs, vous qui tenez les rênes : quel est votre rêve ?
Votre rêve ?
Lorsque vous interrompez le mouvement (continu depuis plus d’un siècle) de diminution du temps de travail par des « travailler plus pour gagner plus » ou par l’augmentation de l’âge de départ à la retraite alors qu’il n’y a déjà plus assez de travail pour tout le monde : quel est votre but final ? Vers quoi nous emmenez-vous ? Quel sera votre limite ?
Lorsque vous continuez à prôner la croissance, c’est-à-dire l’augmentation de la production de richesses chaque année, dans un monde qui ne dispose déjà pas d’assez de ressources pour assurer durablement la viabilité de la production actuelle : où est votre horizon ? Où imaginez-vous nous conduire ?
Lorsque vous mettez en place des politiques de transport public qui mènent à la réduction de moitié du transport ferroviaire du fret en 20 ans, compensée par l’augmentation des transports en camion ; lorsque vous projetez également de fermer les petites lignes de chemin de fer qui seront compensées par l’augmentation des transports en voitures individuelles : quel est l’idéal derrière tout ça ? Quel horizon écologique y voyez-vous ?
Lorsque vous prônez la privatisation des services publics qui impliquent une perte de pouvoir politique généralisé pour le peuple : quelle société souhaitez-vous créer ? Qui contrôlera notre destin collectif, demain ?
Quel est votre rêve ?
On emmerde les candidats aux entretiens d’embauche avec des « où vous voyez-vous dans dix ans ? », mais on ne prend même pas la peine de demander aux gens qui ont le pouvoir dans ce pays (politique, mais aussi médiatique ou économique) : « où voyez-vous votre pays dans cinquante ans ? ». Où on sera ? Qu’est-ce qu’on fera ? Comment les gens occuperont leurs journées ? Qu’est-ce qu’on aimerait avoir résolu comme problèmes d’ici-là ? Dans quel monde on voudra vivre ?
Quel est votre rêve ?
Notre cauchemar…
Je martèle la question, mais elle est presque rhétorique. En réalité, j’ai bien l’impression que votre rêve est notre cauchemar, et que c’est bien pour cela qu’il n’est jamais réellement formulé. Parce que sa formulation clair et honnête serait trop scandaleuse et trop écœurante pour être supportée par celles et ceux qui sont tenus de vous donner une légitimité politique.
Votre rêve est celui du profit rapide et la jouissance immédiate exclusivement réservée à une élite : vous et vos camarades de classe, pour faire simple… et après vous, le déluge. Qu’importe si l’immense majorité des gens sera perdante, qu’importe si l’humanité entière sera perdante lorsque nous aurons achevé de rendre notre planète invivable… vous serez morts depuis longtemps, et c’est là tout votre « projeeeeeet ! » : vivre dans l’opulence égoïste, très vite, tout de suite, pour ceux qui peuvent, et que les autres crèvent. Avant que le château de cartes que vous aurez construits pour arriver à ce « rêve » ne s’effondre.
Nulle part je ne vois de volonté politique de traitement social de la misère ; nulle part je ne vois de volonté politique de traitement économique de l’épuisement des ressources ; nulle part je ne vois de volonté politique de combattre le mal-être et la perte de sens qui gangrène nos sociétés occidentales ; pour des gens qui se targuent en permanence d’être « responsables » et « réalistes », ça se pose là.
Surtout, nulle part je ne ne vois d’horizon, de but humain et collectif qui nous dépasserait.
Votre seul programme consiste à naviguer à vue, à nous engager de gré ou de force tous dans votre bataille sans fin pour votre sacro-sainte croissance, pour votre sacro-saint emploi… vous avez transformé ces simples mesures qui ne devaient être que des moyens en des objectifs intrinsèques, et tant pis si ces mesures n’ont alors plus aucun sens.
Voir aussi : Loi de Goodhart
Tant pis s’il faudrait justement remettre en cause ces moyens et définir clairement, au-delà des moyens, l’objectif. Le rêve.
Mais non.
Après vous, le déluge.
Votre monde sans but s’effondrera de lui-même, j’en suis persuadé : les « crises » (systémiques) économiques et humanitaires de ces vingt dernières années n’en sont qu’un avant-goût. Je ne sais pas quand se produira l’effondrement final et je sais pas non plus ce qui calanchera en premier : l’équilibre écologique nécessaire à notre survie physique ou l’équilibre social nécessaire à notre survie en tant que civilisation. Mais votre monde s’effondrera, car il n’est soutenable ni écologiquement ni humainement.
Et lorsque ce monde – dans lequel nous sommes piégés – s’effondrera, priez pour qu’il y ait suffisamment de rêveurs, de gens qui auront cherché autre chose, qui auront pensé autre chose, ces gens que vous taxez d’irréalistes et d’irresponsables, pour que les ruines de votre monde ne soient pas le tombeau de l’humanité, pour que quelque chose tienne dans le chaos.
Après vous, le déluge. En attendant, charge à nous autres, rêveurs, de construire une arche.
What sphinx of cement and aluminum bashed open their skulls and ate up their brains and imagination?
Moloch! Solitude! Filth! Ugliness! Ashcans and unobtainable dollars! Children screaming under the stairways! Boys sobbing in armies! Old men weeping in the parks!
Moloch! Moloch! Nightmare of Moloch! Moloch the loveless! Mental Moloch! Moloch the heavy judger of men!
Moloch the incomprehensible prison! Moloch the crossbone soulless jailhouse and Congress of sorrows! Moloch whose buildings are judgment! Moloch the vast stone of war! Moloch the stunned governments!
Moloch whose mind is pure machinery! Moloch whose blood is running money! Moloch whose fingers are ten armies! Moloch whose breast is a cannibal dynamo! Moloch whose ear is a smoking tomb!
Moloch whose eyes are a thousand blind windows! Moloch whose skyscrapers stand in the long streets like endless Jehovahs! Moloch whose factories dream and croak in the fog! Moloch whose smoke-stacks and antennae crown the cities!
Moloch whose love is endless oil and stone! Moloch whose soul is electricity and banks! Moloch whose poverty is the specter of genius! Moloch whose fate is a cloud of sexless hydrogen! Moloch whose name is the Mind!
Moloch in whom I sit lonely! Moloch in whom I dream Angels! Crazy in Moloch! Cocksucker in Moloch! Lacklove and manless in Moloch!
Moloch who entered my soul early! Moloch in whom I am a consciousness without a body! Moloch who frightened me out of my natural ecstasy! Moloch whom I abandon! Wake up in Moloch! Light streaming out of the sky!
Moloch! Moloch! Robot apartments! invisible suburbs! skeleton treasuries! blind capitals! demonic industries! spectral nations! invincible madhouses! granite cocks! monstrous bombs!
They broke their backs lifting Moloch to Heaven! Pavements, trees, radios, tons! lifting the city to Heaven which exists and is everywhere about us!
Visions! omens! hallucinations! miracles! ecstasies! gone down the American river!
Dreams! adorations! illuminations! religions! the whole boatload of sensitive bullshit!
Breakthroughs! over the river! flips and crucifixions! gone down the flood! Highs! Epiphanies! Despairs! Ten years’ animal screams and suicides! Minds! New loves! Mad generation! down on the rocks of Time!
Real holy laughter in the river! They saw it all! the wild eyes! the holy yells! They bade farewell! They jumped off the roof! to solitude! waving! carrying flowers! Down to the river! into the street!