Il y a pile poil 4 ans je me suis lancé dans l’aventure entrepreneuriale avec la création de ce qui deviendra plus tard Reador.
Pour vous la faire courte: Aujourd’hui sonne la fin d’une époque avec la vente de la société :). Une excellente nouvelle qui va permettre de donner un nouveau souffle au projet dans un cadre dicté non pas par la technologie 201mais par un besoin concret dans le domaine de la gestion de crise au sein de la société Janua (produit Jaguards).
J’espère que vous apprécierez cet article que je souhaite le plus transparent et naturel possible sur l’aventure. (À mon image quoi ;)).
Se faire aider pour se lancer
Lors du lancement du projet il y a 4 ans j’étais à des années lumière de la société que j’ai créée. Encore étudiant en informatique j’avais du mal à m’imaginer dans une grosse boite à faire du dev. L’Inria m’a alors permis de mettre un pied dans l’entrepreneuriat en finançant le lancement du projet.
J’ai donc passé un an à coder comme un fou le cœur de la solution d’analyse sémantique de réseaux sociaux. Cette année a été indispensable pour développer le produit vendu aujourd’hui.
Sans bases techniques solides je pense que ça ne sert à rien de lancer votre société technologique. Ces fondations seront indispensables tout au long de votre développement et vous permettront de mieux appuyer votre innovation.
Mes rencontres avec d’autres chercheurs de l’Institut et à l’extérieur (@fosdem ou @rmll) m’ont ainsi appris à construire ces fondations, mais aussi à me présenter, susciter l’envie ou encore poser des questions.
Et, quand vous créez votre société vous vous devez de comprendre au maximum le monde qui vous entoure.
Dans cette phase de développement technique c’est clair que j’avais du mal à savoir comment ma société gagnerait de l’argent un jour et je m’en foutais en fait... En public, je me contentais de répéter ce que j’avais entendu chez les autres startups du domaine: “freemium, fidélisation, publicité, levée de fond…” sans vraiment comprendre tout ça… finalement je n’étais qu’un geek!
Nom de code: ReadorForAll
Et donc en octobre 2014 je lance Reador, un outil de veille qui permet gratuitement d’organiser sa veille sur Twitter et flux RSS. Reador s’appuie sur des algos de détection de contenus dans les pages pour faire de l’enrichissement sémantique de tweets. Il ne se base pas seulement sur ces fameux 140 caractères mais va aussi récupérer et analyser les metas-données, les liens et les pages web liées aux articles. À cette époque là, la moulinette arrive à récupérer quelques dizaines de milliers de tweets par jour, à les annoter et à les stocker dans un triple store. D’un point de vue marketing comme je vous l’ai dit plus haut c’est du copier-coller d’autres boites : freemium + publicité.
Et voilà!
Et un an plus tard j’ai rejoint un incubateur
C’est bien marrant le code mais construire un outil parfait ne suffit pas et il faut aussi penser au “business”.
Grâce à mon passage dans le monde de la recherche j’ai pu intégrer l’incubateur @pacaest. Je ne savais pas vraiment pourquoi mais j’ai été accepté pour 2 ans d’incubation avec bureau, accompagnement et belles rencontres en perspective. Ces lieux d’échange sont parfaits pour nous aider à prendre conscience. @pacaest et ses chargés d’affaires ont été l’une des raisons majeures de la réussite de mon aventure et je les remercie ☺.
Quand vous créez votre boîte il y a un temps pour coder. Et un temps pour vendre ! (Mais pitié ne minimisez pas le code.)
Logiquement, en tant que dev j’ai mis du temps à accepter de chercher à vendre. Je pensais qu’il serait facile de trouver des clients une fois lancé ! C’est logique, on code, on publie, on récolte… mais ça ne s’est pas vraiment passé comme ça. Il a fallu se remettre en question et aller vers les clients avant de pivoter.
Évident ! Pourquoi je n’y ai pas pensé avant ! Il suffit de demander aux clients ce qu’ils veulent, de le construire et de leur vendre ☺.
Sauf que le geek est timide, du coup il utilise des amis pour faire son étude de marché…
Si vos amis ne sont pas dans votre cible ne les questionnez JAMAIS pour votre étude de marché !
J’aurai dû me concentrer sur une cible précise dès le début au lieu de construire un produit générique utilisable par n’importe qui.
Nom de code: Reador pour les CM
Fort de ce premier échec, j’ai appris à réfléchir business : et non, ce n’est pas inné. Bien sûr l’accompagnement fourni par la formation Challenge+ d’HEC y est grandement pour quelque chose. Cette formation m’a apporté les bases sur ce qu’est la réalité d’entreprendre. Mais ce qui pour moi est tout aussi important que la formation c’est ce lieu commun où j’ai pu échanger avec les autres porteurs de projet sans fausse pudeur.
Que ce soit lors d’une pause café ou d’une soirée pizza, j’ai énormément progressé sur l’entrepreneuriat et sur moi-même. Les autres participants pourront l’attester, le Christophe de l’avant Jouy En Josas n’a rien à voir avec celui d’aujourd’hui ;).
Promo HEC Challenge+ 2014
Cette introspection a été bien plus intense et productive que je ne pensais. Début 2015, je savais ce que je voulais faire dans la vie et il me fallait un associé pour mener à bien mon projet!
La course à l’association
J’ai fait l’erreur de ne pas m’associer directement (et à tout prix) à un “businessGuy”
En fait, passer cette première année en solo à l’Inria m’a apporté cette habitude de mener seul ma barque et m’a enfermé dans cette ”relative solitude”. Les tentatives d’association que j’ai menées n’ont pas abouti notamment car les gens avaient du mal à rentrer dans ce contexte largement existant. Et puis j’ai mis du temps à me décider sur le profil clair. Je me suis finalement décidé à rédiger une fiche de poste 3 ans après le lancement du projet malgré les relances fréquentes de Marie, ma chargée d’affaires de @pacaest. Si je l’avais écoutée ma recherche aurait été tellement plus efficace.
Le pivot de tous les espoirs
J’avais pris l’habitude de faire pivoter plus ou moins légèrement le projet tous les 6 mois. Pour moi c’était un moyen de renouveler la flamme, de me redonner un coup de boost. J’ai pas eu à chaque pivot des raisons hyper strictes comme on peut voir expliquer par d’autres. Mais à chaque fois la décision venait soit de la concurrence, soit d’une opportunité (technologique).
C’est ainsi qu’en janvier 2015, à force de discuter avec des agences de com’, j’ai cru déceler une opportunité. Ça a été la première fois de @reador que j’avais à la fois:
Un besoin insatisfait
Un processus reproductible
Des clients (vraiment) prêts à payer
Des métriques pour calculer la VUPC
Si vous arrivez à réunir ces 4 postulats c’est magique! Vous comprenez tout de suite qu’il y a quelque chose à faire. Et franchement c’était à des années lumières de ce que j’avais fait auparavant.
Nom de code: ReadorForAgency
Toutes les agences de com' vendent du Community Management à leur clients. Mais c’est un produit sur lequel elles ne margent pas. C’est une activité répétitive qui leur demande d’employer de la main d’œuvre qualifiée.
Mais, Reador est là ! Notre agence d’externalisation de #CM, gère pour le compte des agences de com' la communication sociale de leurs clients B2C. Nous employons de la main d’oeuvre qui a aujourd’hui du mal à trouver un emploi (profils littéraires et créatifs). Ces emplois ne sont pas sur des niches recherchées et sont moins “chers” que les profils de chargés de com’ présents aujourd’hui en agences de com’. Et avec une courte formation en interne, et surtout un logiciel d’accompagnement au Community Management développé par nos équipes, nous pourrons augmenter au maximum en premier lieu la productivité mais surtout la qualité de notre travail via des KPI clairs!
(Nous ne travaillons bien sûr qu’avec des agences de com’. Aller voir le client final est long et fastidieux…)
Ce projet j’y crois encore aujourd’hui, mais il avait une faille :
Vous la trouvez?
Alors ? (Non aucun rapport avec un quelconque seuil de rentabilité;))
Le problème c’était moi ! Qu’est-ce qu’un développeur allait faire à la tête d’une société de service?
Je n’avais pas envie au fond de moi d’être au cœur de cette “uberisation du Community Management".
Par chance j’ai trouvé à ce moment là un potentiel associé qui avait toutes les compétences requises pour travailler en duo sur ce projet. Mais l’alchimie n’a pas pris et l’on a choisi de ne pas s’associer (enfin surtout lui ;)).
Un associé sinon rien
Bref cette dernière tentative d’association est un nouvel échec et le mois de mai 2015 arrive vite. Il est hors de question pour moi de continuer l’aventure en solo.
On nous raconte souvent dans les tutos Startup que si l’on n’arrive pas à convaincre notre futur associé on ne pourra jamais convaincre des clients d’acheter nos solutions… C’est peut être vrai :’(.
Mais pour ma défense, durant ces années de travail je ne suis pas resté à me lamenter sur mon sort. J’ai participé à de nombreux hackathons et StartupWeekend. J’y ai rencontré des gens formidables avec lesquels je suis encore en contact aujourd’hui, j’ai appris à pitcher un projet face à un public (parfois dénué de bienveillance…). Mais ça n’a pas suffi.
Et, avec du recul j’ai un unique regret vis à vis de mon aventure:
J’aurais dû “abandonner” mon projet pour rejoindre un autre fondateur seul !
On a beau penser avoir la meilleure idée du monde, on devrait parfois dire Fuck : “ je rejoins un autre porteur de projet et on va faire équipe !”
Avec du recul j’ai peut être mal mesuré les +- entre continuer seul et lâcher Reador pour vivre l’aventure sous un autre nom. Dans mon entourage je ne me souviens pas que l’on m’ait conseillé une telle option, et je profite de ce billet pour vous conseiller de vraiment la prendre en compte.
Un autre pivot?
Fort de mes précédents pivots à ce moment là j’ai réussi à faire le point et j’ai rédigé avec l’aide de l’incubateur et de Laurent ce document de prise de décision qui m’a vraiment aidé :
Août 2015 quelque part entre Biarritz et Arcachon
Stop !
Et puis le premier juin 2015 arrive, je décide de fermer la société. J’ai renoncé…
C’est alors une période complexe qui commence avec beaucoup d’interrogations. Il va falloir chercher un emploi ? fermer la société ? Vendre ? À qui ? On va me juger ? Dois-je cacher mon échec ? Pourquoi-pas déménager ?
J’ai à ce moment là une seule certitude, je veux revenir à la base, CODER !
J’ai donc profité de quelques semaines de “pause” pour me tester, et coder une appli dont je rêvais depuis quelques temps : www.twitter-tracking.com. La réponse était claire, oui je suis un développeur ! Je me suis éclaté à construire cet outil. Entre l’application web et la version mobile, j’ai kiffé !
Ce projet là, à la différence d’un ReadorForAgency n’est pas monétisable et ne me permettra sûrement jamais d’en vivre mais je le maintiens encore aujourd’hui car il est fun, utile et me permet de coder des trucs sympas dans des technos inconnues. (Beaucoup plus marrant que ne l’était dar.la à l’époque où je n’avais pas de limites éthiques…).
Recherche job bien payé
Avec l’expérience acquise sur Reador il semblait évident que je trouverais un emploi rapidement. Un développeur geek avec de bonnes compétences et un (très) bon réseau ne reste pas longtemps sans emploi.
Dans mon cas j’étais surtout très “stressé” à l’idée de me retrouver dans une boîte inconnue.
Et c’est marrant d’avouer que j’avais peur de l’inconnu alors que j’ai passé 3 ans dans un flou artistique … Bref je trouve quelques sociétés sympas, certaines dans mon domaine et je commence à discuter avec elles. Deux se détachent du lot, la première qu’on appellera la Toulonnaise travaille dans le domaine de la veille professionnelle mais n’a aucun outil d’analyse de flux sociaux. Elle a réussi à vendre à un client un outil de #CM mais n’y connait pas grand chose en analyse de ces données et n’a que 6 mois pour construire le logiciel. Bref ma VUPC est vraiment vraiment visible! Et finalement elle me propose un salaire très faible. Légèrement moins qu‘un ingénieur sorti d’école… Bref je rigole jaune et me vois obligé de décliner l’offre.
Je choisis finalement une autre société sur Sophia pour un salaire de 3000€ net. Le salaire c’est indispensable pour constituer le capital social d’une future société…
Bref cette presque startup de 50 personnes n’est pas franchement dans les réseaux sociaux mais je m’y amuserai certainement à faire du dev sur de l’OpenData et de la géolocalisation sur un projet de R&D qu’ils avaient lancé quasiment 1 an plus tôt.
Mais tout n’est pas rose et au bout de 6 mois j’ai décidé de démissionner. Non je ne m’amuse pas, et je n’arrive pas à trouver ma place. Bref 50 personnes c’est trop pour moi!
La décision de partir fût d’autant plus complexe à prendre que la société en question était intéressée par la reprise de Reador ! À condition que je reste quelques temps chez eux (logique !).
Copie des conditions de ce rachat avorté. Le CCA à l’époque était de l’ordre de 20k€ #Transparence
Bref retour à la case départ et cette fois je trouve un autre poste immédiatement dans une boîte vraiment à taille humaine (4 personnes) dans laquelle je fais bien sûr du dev à 100% et où je m’amuse bien.
Salariat = farniente?
Ça fait maintenant un an que je suis salarié. Oui je peux le dire, le salariat est à des années-lumières de mon aventure précédente. Le meilleur adjectif que je pourrai utiliser est farniente comparé à l’entrepreneuriat…
Mais cette pause en terme de responsabilités est, je pense, indispensable après une aventure entrepreneuriale, ne serait-ce que pour recharger les batteries.
Fini le travail le Week-end, bonjour les soirées à faire du sport. Finies les montagnes russes, bonjour les vacances (enfin des vacances !!!). C’est clair que ça n’a aucun rapport avec ma vie d’avant. Et en réalité c’est presque chiant de ne pas avoir de responsabilités !
La revente
Trouver un job c’est bien mais j’espérais tout de même valoriser tout ce temps à coder ! Et ce code intéressait beaucoup de monde ☺. J’ai donc travaillé durant l’été 2015 à mettre en valeur tous les aspects du produit pour trouver un repreneur :
Le code de l’application bien sûr : par exemple il aurait fait économiser quasiment 6 mois de dev à la boîte Toulonnaise dont on parlait plus haut.
La base d’utilisateurs de @reador vaut de l’or car ces 500 tokens twitter permettent de faire un nombre colossale de requêtes gratuitement sur les API, sans hack !
L’analyse sémantique + émotionnelle des tweets
La géolocalisation automatisée de tous les posts twitter + Instagram qui permet une analyse démographique impressionnante.
J’ai au final trouvé 3 acquéreurs intéressés par la société ☺... Les 3 sociétés qui me proposaient du boulot :
La Toulonnaise qui est revenue à la charge après mon refus d’offre d’emploi. Mais elle était vraiment trop gourmande sur les conditions de vente avec des règles de non concurrence pas acceptables.
Celle chez laquelle j’ai été salarié 6 mois et que j’ai finalement quitté proposait l’offre la plus intéressante car apportait une réelle continuité au projet sur un marché à fort potentiel avec de la geolocalisation de posts. Mais à la condition que j’y reste au moins 2 ans ;).
Et c’est finalement la société Janua (voir cdp) qui exploite aujourd’hui les algorithmes Reador dans le domaine de la gestion de crise.
De l’utilité de ce que l’on fait
Exploiter Reador dans la gestion de crise n’est pour moi pas anodin. Je me questionne souvent sur l’utilité de ce que l’on code. À quoi ça sert de publier sur le store des millions d’applications si elles ne permettent pas de construire un monde meilleur ? Éviter des attentats ? Sauver des vies ?
Dans le même sujet je vous conseille d’aller lire le post de @tariqkrim qui a su mieux que moi illustrer ce trouble auquel nous sommes de nombreux développeurs à faire face :
À quoi sert notre métier si l’on n’est pas capable de croire qu’on va un jour sauver le monde.
Le deuil
Enfin le plus complexe dans l’aventure c’est que l’on ne nous laisse pas faire le deuil de notre startup. Dans mon cas, la fin est heureuse, mais durant la phase de transition on m’a souvent fait chi** en me disant “tu devrais continuer ton projet”, “pourquoi tu ne testes pas tel ou tel pivot”. Non j’en ai marre ! Vraiment marre de travailler sur ce projet ! Je veux faire autre chose ! Découvrir de nouveaux domaines, de nouvelles compétences (techniques).
On parle de processus de deuil de plus en plus dans le milieu Startup et les articles de Joran Farnier présentent très bien la problématique. (Et ce post-mortem fait partie du processus de reconstruction bien sûr).
Oui ! Ce fût une expérience folle et enrichissante.
Folle comme la nuit que j’ai passé dans ma tente au stade Allianz
En 4 ans je suis passé de l’étudiant à celui d’ingénieur-entrepreneur “qui a vendu sa boîte". Mon CV est devenu magnifique mais le plus important c’est que je me suis éclaté à vivre tout ça.
Même les mauvais jours, j’avais du plaisir à me lever pour découvrir de quoi serait faite ma journée. Ce que j’allais apprendre sur le monde mais aussi sur moi !
J’espère que mon aventure donnera envie à d’autres de se lancer.
À relire dans quelques années
Il est temps pour moi de conclure ce blogpost sur une note positive.
Je suis fier d’avoir vécu cette expérience et d’avoir pris ces décisions qui ont forgé mon histoire. Je rêve de recommencer, avec une équipe, plus de professionnalisme, mais toujours autant de spontanéité et de transparence.
Futurs associés, investisseurs, partenaires ou clients ne prenez pas peur en lisant ce post, je suis persuadé qu’on changera le monde !
Merci à toutes les personnes qui m’ont fait confiance m’ont donné un coup de pouce et m’ont soutenu : les stagiaires, chercheurs et accompagnants Inria, employeurs, collègues de bureau, l’incubateur Paca-EST, HEC Challenge+ promo 2014, tous mes collègues d’incubation du Business Pole ou d’ailleurs, TelecomValley et sa commission OpenSource, les participants avec lesquels j’ai joué en hackathon, la Fondation Unice, Polytech Nice et ses enseignants, la communauté Startup de la Côte d’Azur, l’OpenCoffee, StartupWeekend, mes amis, mes colocs et ma famille #KerKer.
À dans quelques années, Christophe.